La fermeture d’un titre de presse n’est pas un acte anodin. Mais avant d’évoquer l’atteinte à la démocratie, il est nécessaire d’analyser cette décision à l’aune de la stratégie du groupe auquel il appartient, dans le cas présent : Ringier Axel Springer Suisse.
L’Hebdo est un magazine né de la volonté de Jacques Pillet en 1981. L’ambition de ce « newsmag » a toujours été de traiter de l’actualité suisse et internationale sous un angle principalement politique et culturel. Un positionnement calqué sur les magazines internationaux (Time Magazine, Newsweek, Le Point, L’Express, etc.) mais qui est resté unique en Suisse où il n’y a jamais eu de support similaire en Suisse alémanique. Une particularité qui va s’avérer un réel handicap lorsque le flux de la publicité va commencer à se tarir et qu’il sera difficile de le positionner sur les plans média nationaux.
Autre problème pour ce titre, l’arrivée du Temps dans le giron de Ringier. Le rachat du quotidien en 2014 a amené l’éditeur à rationaliser les coûts et à rapprocher les rédactions du Temps et de L’Hebdo dans les locaux de Ringier Romandie à Lausanne. Au-delà des seules économies, la création d’une newsroom devait également permettre de « digitaliser » L’Hebdo. Ironie de l’histoire L’Hebdo a certainement été un des premiers titres au monde à s’être intéressé au web comme en témoigne la création du Webdo dans les années 90 et du blog de Bondy dans les années 2000. Mais ces tentatives n’ont visiblement pas permis de créer une culture web au sein de la rédaction et la périodicité d’un hebdomadaire, puis le rapprochement avec un quotidien clairement orienté web, ont fini par figer l’image de L’Hebdo comme un magazine ayant raté le virage du numérique.
La mutualisation des ressources, notamment de la rédaction, avec Le Temps a contribué également à brouiller la ligne éditoriale de L’Hebdo. Moins politique et plus sociétal, ce magazine a vu son audience s’éroder : (Mach Basic (2010) 218’000 lecteurs / (2016) 166’000 lecteurs). L’idée d’un encartage de L’Hebdo, dans l’édition du samedi du Temps, a souvent été évoquée. Pour Daniel Pillard, responsable de Ringier Romandie, cette option était envisageable : « mais c’est la dernière option. »
On le voit aujourd’hui, il y avait une autre dernière solution. Il est vrai qu’entre temps, Ringier Suisse a conclu une joint-venture avec le groupe Axel Springer. Désormais, c’est Ralph Büchi qui est aux commandes et ce professionnel des médias est également un excellent gestionnaire. La culture Ringier plus « politique » a laissé place à un pragmatisme indispensable compte-tenu des circonstances dans laquelle se trouve la presse écrite dans notre pays. La guerre publicitaire entre les acteurs du web et les éditeurs entraine une forte pression sur les tarifs et par conséquent une forte baisse de revenus publicitaires. Sans parler de l’attitude du public qui rechigne de plus en plus à payer pour de l’information. Moins de pub, moins d’abonnements, cela signifie réduire les coûts donc le nombre de journalistes dans les rédactions. La qualité s’en ressent comme la fidélité des lecteurs. Un cercle vicieux dont L’Hebdo, surtout ses employés, fait aujourd’hui les frais.
Est-ce le début de la fin ? Nullement ! Le groupe Ringier a réalisé CHF 946 millions de chiffres d’affaires en 2015. Un tiers de son revenu provient désormais de plateformes digitales. Plus que jamais le positionnement de ses titres de presse va être déterminant. La presse magazine, comme en témoigne l’éclatant succès de Landliebe, démontre qu’elle peut gagner des lecteurs. Pour cela, il faut travailler sur des communautés clairement définies. Le tout généraliste c’est fini.
La réalité des chiffres ne saurait toutefois faire taire les sentiments. La mort d’un titre de presse est une perte culturelle. Et qu’un titre à vocation politique ne puisse survire en Suisse romande, c’est un signal qui devrait nous inquiéter tous.